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Résumés des communications > Lethielleux Combes

Interroger la pertinence du concept de performance globale pour les entreprises de l’ESS

 

Laetitia Lethielleux, Maître de conférences en sciences de gestion,
Université de Reims, Champagne-Ardenne (URCA), Laboratoire REGARDS (EA 6292)

laetitia.lethielleux@univ-reims.fr

Monique Combes-Joret, Maître de conférences en sciences de gestion,
Université de Reims, Champagne-Ardenne (URCA), Laboratoire REGARDS (EA 6292)

monique.combes@univ-reims.fr

 

Dans un contexte de raréfaction des financements, les entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) sont amenées à intégrer une logique d’hybridation des ressources (Laville, 2009). Les entreprises de l’ESS se voient également mises en concurrence avec des entreprises à but lucratif dans le cadre d’appels à projet et soumises aux règles du New Public Management (Delalieux, 2010). Dans cette course aux financements, indispensables à la pérennisation des structures, « les associations se trouvent obliger de prouver la qualité de leur gestion » (Busson-Villa, Gallopel-Morvan, 2012). Busson-Villa et Gallopel-Morvan (2012) soulignent l’intérêt des normes de gestion pour les entreprises à but lucratif mais interrogent le cadre de la « tétranormalisation » (Savall et Zardet, 2005) pour celles de l’ESS, et plus particulièrement pour les associations. Or pour Soulage (2002), le but des EESS est bien « d’assurer la meilleure réponse possible aux besoins exprimés ou sous-jacents d’un groupe de personnes dans l’exercice d’une solidarité, tout en développant l’entreprise sur ses propres marchés ». Cependant, en situation de concurrence (concurrence pour les ressources monétaires (subventions, dons) et pour les ressources non monétaires (bénévoles)) l’équation est plus compliquée à résoudre. Les EESS doivent réaliser des arbitrages entre l’équilibre économique de leurs activités et la réponse aux besoins identifiés, pour garantir leur pérennité. La contrainte budgétaire doit-elle « passer devant » et dicter les choix  ou bien, doit-elle être assumée prise en charge par l’organisation, mais alors jusqu’où ?

De nombreuses théories postulent que les efforts pour rendre l'organisation performante, compétitive et rentable dans une économie de marché conduisent à une perte des valeurs à la base de la création de ces entreprises (Morin, 2008). Parmi ces théories, nous trouvons notamment : la dégénérescence de l'idéal démocratique et l'hégémonie gestionnaire.

La notion de performance apparaît dans la littérature comme un terme polysémique car elle renvoie à une logique : économique (compétitivité), financière (rentabilité), juridique (solvabilité), organisationnelle (efficience) ou encore sociale (pertinence). De leurs côtés, les acteurs de l’entreprise interprètent la performance de manière plurielle en fonction des intérêts qui les animent. Il existe une multitude de définitions de la performance reposant sur les logiques de la valeur (Hamel G. et C.K Prahalad, 1995) ; sur la concurrence (Porter, 1981) ; sur la planification (Ansoff, 1968) ; sur l’organisation (Kalika, 1988)…  Ces différentes approches soulignent la forte connotation de ce concept et renvoient aux mécanismes à la fois concurrentiels, organisationnels et financiers des entreprises de l’économie traditionnelle. L’appréciation de la performance (et par conséquent sa mesure) serait fonction du point de vue adopté. Certains auteurs, à l’image de Quinn et Rohrbaugh (1983) montrent bien la spécificité de cette notion de performance qui serait plus un construit (avec toute une dimension idéologique), qu’un concept (construit et validé scientifiquement).

La performance a longtemps été considérée sous sa seule dimension financière, dimension qui reste encore très présente même dans le champ de l’ESS par une sur-valorisation de la culture du chiffre perçue comme un moyen d’accroître la légitimité de l’action de l’association (Eynaud et Mourey, 2015).

A la fin des années 1990, l’approche de la performance est devenue plus globale en incluant des dimensions sociale et environnementale (cf. figure 1) : la manière de conduire l’entreprise prend de l’importance (Lepetit, 1997).

 

 Figure 1 : Les composantes de la performance globale

 

Source : Reynaud, 2003.

 

Cette approche globale prend davantage en compte les différentes dimensions de la performance ce qui correspond plus au champ de l’ESS. Néanmoins, la culture du chiffre reste dominante laissant un poids plus important à la performance financière (Eynaud et Mourey, 2015). De même, comment mesurer la performance globale alors que certains avancent que sa mesure est « foncièrement subjective » du fait de sa construction sociale tout en reconnaissant que sa mesure joue un rôle de plus en plus important (Van Dooreb et Van de Walle, 2008). Le choix des indicateurs n’est pas neutre et répond souvent à des contraintes institutionnelles. Fabre (2005) conclue son étude sur l’évaluation de la performance des associations dans les villes françaises en soulignant la complexité de ce processus du fait de l’hétérogénéité des activités ainsi que du caractère multiforme des relations entre les partenaires.

Par conséquent, dans le cadre de cette communication, nous nous proposons d’interroger la pertinence de l’utilisation de la performance dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Certains auteurs (Meier et Schier, 2008) transposent, par analogie, les outils utilisés par les organisations à but lucratif au secteur public et aux EESS. Or, ces outils se concentrent, en grande partie, autour d’un « concept » de performance réduit à des indicateurs financiers et comptables. Les travaux qui portent sur la mesure de la performance au sein des EESS utilisent également cette logique (Cutt, 1998 ; De La Villarmois, 2001). Plus globalement, se pose la question de l’importation des outils et techniques du privé aux EESS et de la nécessité d’en créer de nouveaux plus en phase avec les valeurs de ces entreprises (Bayle, 2000).

Cette question de recherche nous apparaît s’imposer de plus en plus au regard des effets observés auprès des entreprises de l’ESS par des indicateurs de performance « indifférenciés » ne prenant pas ou peu en considération les spécificités de ces entreprises. La recherche d’une performance globale comparable pose plusieurs défis aux entreprises de l’ESS : un défi identitaire (le risque de dénaturation du projet associatif, Combes-Joret et Lethielleux, 2014), un défi économique (soit elles acceptent de se plier au jeu de la mesure et des indicateurs pour avoir des subventions) ou un défi social (leur crédibilité sociétale).

 A l’aide des résultats de deux études menées dans le secteur associatif, l’une menée auprès de la Croix-Rouge française (2010-2013) et l’autre en 2014 auprès des têtes de réseaux associatives de la région Champagne-Ardenne, nous chercherons à montrer que le concept de performance globale reste peu utilisé dans sa triple dimension pour les EESS ce qui pose un vrai dilemme à ces organisations : choisir entre leur survie et leurs valeurs. Plus globalement, cette réflexion nous amène à interroger les effets des politiques publiques (au travers des dispositifs d’appels à projet et de la loi du 31 juillet 2014) sur les actions des EESS et à observer la manière dont elles s’approprient la notion de performance globale.

Mots clefs : outils de gestion- identité organisationnelle- performance- indicateurs

 

Références bibliographiques 

Bayle E. (2000), « La mesure de la performance des organisations à but non lucratif : proposition d’une nouvelle méthode appliquée aux fédérations sportives nationales », Gestion 2000, septembre-octobre , p. 73- 99.

Bernoux J-F., (2009), Evaluer la performance de l’action sociale, Dunod.

Busson-Villa F. et Gallopel-Morvan K., (2012), « La normalisation des associations : quelle efficacité pour rassurer les parties prenantes ? », Management et Avenir, 2012/4, n°54, p. 168-190.

Chessel M-E. et Nicourd S,. (2009), « Les ressorts des modes de gestion des associations », Entreprises et Histoire, 2009/3, n°56, p. 6-10.

Cutt J., (1998), « Performance measurement in non-profit organisations: integration and focus within comprehensiveness », Asian Journal of Public Administration, vol. 20, n°1, June, p. 3-29.

Combes-Joret M., Lethielleux L., (2014), « Caractériser et gérer les menaces identitaires dans les associations-employeurs : le cas de la Croix-Rouge française », GESS- 15-16 décembre 2014, Clermont-Ferrand.

De la Villarmois O., (1998), « Le concept de performance et sa mesure: un état de l’art »,

Elbaum M., (2009), « Les indicateurs de performance en matière de politiques sociales », Revue de l’OFCE, 2009/4, n°111, p. 39-80.

Eynaud Ph. et Mourey D., (2015), « Apports et limites de la production du chiffre dans l’entreprise sociale. Une étude de cas autour de la mesure de l’impact social », Revue française de gestion, 2015/2, n°247, p. 85-100.

Fabre P., (2005), « L’évaluation de la performance des associations dans les villes françaises, entre proximité et contingence », Comptabilité- Contrôle- Audit, 2005/1 (tome 11), p. 55-77.

Laville J.-L. et Glémain P. (dir.) (2009). L’économie sociale et solidaire aux prises avec la gestion, Desclée de Brouwer.

Pesqueux Y., (2004), « La notion de performance globale en question », 5ème forum International ETHICS, 1-2 décembre, Tunis.

Radaelli C. M. et Schmidt V., (2005) (Eds.) Policy Change and Discourse in Europe Frank Cass. Also published as special issue of West European Politics 27(2).

Reynaud E., (2003), « Développement durable et entreprise : vers une relation symbiotique », Journée AIMS, Atelier développement durable, ESSCA Angers, pp.1-15.

Richez-Battesti N. et Oswald P., (2010), « Vers un modèle hybride d’organisation et de gouvernance : une alternative à la situation concurrentielle », Revue Internationale de l’Economie Sociale, N° 315, février, pp. 56-74.

Quinn R.E et Rohrbaugh J., (1983), « A spatial model of effectiveness criteria », Management Science, Vol. 29, n°3, pp. 363-377.

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Soulage F., (2002), « De la difficulté de concilier contrôle et démocratie : le Cas des groupes coopératifs et d’économie sociale », Groupe EsFin-IDES.

Van Doreen W. et Van de Walle S., (2008), « La réalité est simplement une illusion, quoique très persistante. Introduction au numéro spécial sur la mesure de la performance », Revue internationale des Sciences Administratives, 2008/4, voll 74, p. 559-562.

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