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Résumés des communications > Billaudeau Maudet

Regards croisés des artisans et leur coopérative d’achats :

quelles coopérations sur le territoire des Mauges ?

 

Valérie Billaudeau, enseignant-chercheur à ESO Angers-UMR 6590

Elizabeth Poutier, enseignant-chercheur Research Lab ESSCA

Mary Lou Maudet, M2 Management des organisations de l'Economie Sociale et Solidaire, Université du Mans

Caroline Mazaud, enseignant-chercheur en sociologie à l’ESA- Laress, Cens-FRE 3706

 

Selon un communiqué de presse du réseau Orcab[1]sur le marché français de la distribution bâtiment toujours tendu, seul le groupement coopératif affiche une “insolente” croissance sur l’année 2015. Créatrices d’emplois avec 1,07 millions de collaborateurs au niveau national et tous secteurs confondus, les coopératives représentent 4,5% de l’emploi salarié en France contre 4,2 en 2008. Parmi les coopératives existantes en France, se distinguent les coopératives d’achats dans le bâtiment qui ont pour objectifs de consolider et pérenniser les entreprises artisanales individuelles adhérentes et de relever les enjeux économiques des artisans sur leur territoire. Une coopérative d’achats regroupe des entreprises privées représentées par les artisans adhérents sous un statut coopératif. Les coopératives d’achats sont donc à la jonction entre deux univers : celui de l’entreprise privée et celle de l’économie sociale et solidaire afin de mener une politique dynamique d’achats pour le compte de ses artisans-adhérents. Notre recherche s’intéresse aux formes de coopération émergeant de ces univers qui semblent éloignés a priori. Le cadre du programme de recherche CODESOL[2]à l’Université d’Angers, nous a permis de réaliser deux enquêtes pour explorer des formes de coopération peu mises en valeur en milieu rural en croisant les réalités des artisans et de leur coopérative d’achats.

Nous avons choisi d’étudier la coopérative GMB ou Groupement des métiers du bois qui est une coopérative d’achat, spécialisée donc dans les métiers du bois. La coopérative a vu le jour en 1993 et regroupe aujourd’hui près de 200 adhérents. Implantée à Chemillé-en-Anjou, les entreprises adhérentes se trouvent sur tout le département du Maine et Loire mais aussi au nord de la Vendée et au sud de la Sarthe. La coopérative offre des services tels que la négociation des prix avec les fournisseurs, le référencement des produits sur un outil en ligne, la livraison des matériaux, des formations de présentation de matériaux. La coopérative est dotée de 2 entrepôts de stockage mais aussi d’un showroom Artipôle qui offre aux artisans un espace de démonstration pour leurs clients. Artipôle est une enseigne de salle d’exposition du réseau ORCAB. GMB est membre de l’ORCAB ou l’ORganisation des Coopératives d’Achat des artisans du Bâtiment. En 1990, 12 coopératives dédiées au référencement et à la négociation nationale se regroupent. Aujourd’hui, l’ORCAB compte 6800 entreprises artisanales adhérentes réparties dans 50 coopératives. Elle compte 2 plateformes nationales, 69 points de distribution, 35 salles d’exposition de produits sur 15 régions de France. L’organisation se définit comme un réseau compétitif et moderne qui se donne pour objectif la massification et la mutualisation des achats pour les entreprises artisanales via la distribution de produits de marques nationales uniquement. Elle propose donc des référencements de fournisseurs, des concertations inter-coopératives, un appui technique, logistique et financier et enfin une aide à la formation.

Face à un contexte économique difficile et pour affronter une concurrence accrue, les artisans ruraux, comme les agriculteurs l’ont fait massivement avant eux, réunissent leurs forces et mutualisent leurs moyens au sein de projets économiques qui vont de simples « coups de main » entre collègues à l’investissement au sein de coopératives formalisées. Au-delà de la montée d’un supposé individualisme économique, les conceptions coopératives se renouvellent. Ces changements posent la question de l’évolution des identités de métier mais aussi des modes d’organisation collectives au sein des territoires. Comment passe-t-on de solidarités informelles de métier à la création de coopératives formelles ? En quoi l’ancrage et la visibilité au plan local peuvent-ils constituer des ressources sociales au service de l’activité économique (individuelle et collective) et, au-delà, au bénéfice de la dynamique territoriale ?

Dans cette communication, nous proposons de présenter les résultats de deux enquêtes avant de croiser les perceptions sur la coopération telle qu’elle est organisée au sein de la coopérative d’achats et celle qui est vécue par les artisans. Certains paradoxes émergent et parmi eux, une coopérative ancrée sur des principes de coopération mais avec une solidarité relative. En effet,  beaucoup d’artisans en concurrence sur le marché établissent malgré tout des coopérations informelles.

En définitive, nouspouvons dire que la coopération entre artisans du bâtiment sur le territoire rural des Mauges prend de multiples formes. S’il est net que les actes de coopération sont très présents entre les adhérents du même métier dans cette coopérative d’achat, nous ne pouvons pas généraliser que l’ensemble des coopérations entre les artisans soient formelles. En effet, les actes de coopération informelle semblent nettement plus fréquents entre artisans de métiers différents bien que l’appartenance à la coopérative d’achat influence le choix ; même si ce n’est pas le cas pour tous, les rencontres et les échanges créent de la coopération. La relation inverse est observable : le choix des individus avec qui les artisans coopèrent influence l’entrée dans la coopérative.

Il apparait aussi que la coopération formelle est un moteur dans les relations qu’entretiennent les artisans entre eux ainsi que la localisation sur le territoire ; les artisans implantés plus près du siège de la coopérative, bénéficient davantage de l’ensemble des services proposés. Les coopérateurs ont dans l’ensemble un réseau de coopération informelle qui s’arrête à leur commune ou aux communes voisines.

Ainsi les liens entre coopération formelle et informelle sont très présents, très divers et la frontière entre les deux est parfois floue. Il n’y a pas, aujourd’hui, de forme de coopération dominante. Tous les cas de figure ont été observés. Ainsi, le passage de l’un à l’autre est possible, et dans les deux sens. La coopération formelle et la coopération informelle cohabitent et les actes qui en relèvent peuvent s’effectuer avec les mêmes artisans, des artisans différents ou les deux.

Pour un même acte de coopération, chaque artisan a sa pratique. Prenons, par exemple, le partage de carnets d’adresses (acte de coopération pratiqué par tous). Chez certains artisans cela se fait depuis tout temps de façon informelle avec d’autres artisans de la commune (qu’ils soient adhérents de la même coopérative, d’une autre coopérative ou non adhérents par ailleurs). D’autres artisans ressentent le besoin de formaliser cet échange de carnets d’adresses préexistants dans une structure formelle. Pour d’autres artisans encore, c’est la coopérative elle-même qui va leurs ouvrir son carnet adresses (en leurs envoyant des clients s’adressant directement à (…). De la même façon, il est parfois très difficile de savoir si un acte de coopération peut être qualifié de formel ou d’informel. A l’image de ce que nous a exposé un artisan qui avait besoin de main d’œuvre pour finir un chantier. Il s’est tourné vers la coopérative d’achat qui a consulté l’ensemble de ses adhérents via l’envoi de mails. Il s’agit d’une recherche de coopération formelle, puisque contractuellement, la coopérative est au service de ses membres. Mais, quand un adhérent coopérateur est venu aider à cet artisan, il l’a fait librement, sans contractualisation et sans attendre quelque chose en retour. Il s’agit cette fois d’un acte de coopération informelle. Au final, la frontière entre coopération formelle ou coopération informelle est ténue. Il semble même important que les deux puissent cohabiter pour laisser créer de la véritable coopération.

Implantées volontairement sur des territoires ruraux, le développement des coopératives d’achats comme GMB constituent une source d’activités et d’emplois et contribuent au développement de leur territoire résistant à la crise. Cet exemple contribue à montrer que le type de fonctionnement des entreprises coopératives permet de « re-territorialiser » l’économie locale. Cette analyse démontre également la singularité du mode d’organisation des coopératives d’artisans favorisant la coopération, même si les degrés sont divers et perçus avec des variables différentes, même en situation de crise économique. En effet, basées «  sur un nouveau rapport entre l’individu et la société, entre l’autonomie et l’interdépendance, entre la responsabilité individuelle et celle collective » (Demoustier, 2012), les coopératives d’achats développent la co-construction, mobilisent les parties prenantes, participent à une économie de la connaissance et de l’innovation.

 



[1] Organisation des coopératives d’Achats des Artisans du Bâtiment.

[2] Coopérations et développement territorial : des solidarités renouvelées au service de l'innovation dans les espaces ruraux. Cette réflexion s’inscrit dans le programme de recherche CODESOL (Juillet 2014 à Novembre 2016) qui regroupe différentes structures d’Angers Loire Campus  (Université d’Angers, Agrocampus-Ouest, ESA, ESSCA) et plusieurs laboratoires de recherche (UMR ESO (Angers), UMR Granem et LARESS). Ce programme pluridisciplinaire (sociologie, économie, gestion, géographie, communication) questionne l’ancrage au territoire de groupes professionnels et sociaux par le développement de différentes formes de coopération. Cette recherche s’appuie sur deux terrains d’enquête (en pays d’Ancenis et dans les Mauges) où sont étudiées les coopérations formelles et informelles au sein de groupes professionnels (agriculteurs et artisans) et entre groupes dans leurs relations aux collectivités locales et aux habitants à travers différents projets (notamment la mise en place de projets collectifs en énergie renouvelable).

 

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