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Résumés des communications > Boissin et al.

La « transformation coopérative » comme succession d’épreuves critiques dans la constitution d’un « Commun » :

les enseignements d’une étude de terrain en Rhône-Alpes

 

O. Boissin (CREG – UGA)

H. Charmettant (CREG – UGA)

J.-Y. Juban (CERAG – UGA)

Y. Renou (CREG – UGA)

 

 Présentation des auteurs :

             Les quatre auteurs de cette proposition forment[1] l’équipe « Projet Scop » qui, depuis 2012, mène des études de terrain sur les Scop (société coopérative et participative) et les Scic (société coopérative d’intérêt collectif). Ces études, menées en partenariat avec l’UrScop Rhône-Alpes-Auvergne et la Métropole de Grenoble, se sont déployées dans plusieurs directions : les relations sociales au sein des Scop, les apports au dynamisme territorial des Scop et Scic (programme Dynacoop financé par l’UGA), les liens entre coopération interne et externe (programme COOP-in-AND-out retenu par l’ANR dans le cadre de son appel à projet 2015). Le thème de l’étude à partir de laquelle cette proposition se fonde est celui de la « transformation coopérative » consistant à s’intéresser aux processus de transformations d’entreprises « classiques » en Scop. Un blog (projetscop.blogspot.fr) permet d’avoir accès aux résultats de ces différents travaux, achevés ou en cours. Deux rapports d’études publiés en 2013 et 2015 y sont disponibles ainsi que les interventions des participants aux deux journées d’études organisées à l’occasion de ces publications.

 - Olivier Boissin, (MCF en économie, INPG). Il s’intéresse aux dynamiques d’innovation des firmes avec une focalisation sur l’impact du choix de la gouvernance en matière de politique de R&D et de production en environnement ouvert. Une attention particulière est conduite au niveau des structures occidentales sous statut de Joint-Venture localisées en Chine.

 - Hervé Charmettant, (MCF en économie, faculté d’économie de Grenoble). Il analyse la relation d’emploi dans le cadre de l’institutionnalisme et s’intéresse à la gouvernance et au management des Scop. Il est responsable de l’équipe « Projet Scop » et coordinateur scientifique de l’ANR COOP-in-AND-out.

 - Jean-Yves Juban (PU en gestion, IUT Valence). Ses recherches portent principalement sur la GRH, le management et la gouvernance au sein des Scop, ainsi que sur la gestion des seniors et la GRH du personnel technique et administratif dans les universités.

 - Yvan Renou (MCF en économie, Faculté d’économie de Grenoble). Ses travaux portent sur la caractérisation et la compréhension du changement institutionnel au sein d'une diversité de champs et domaines d’activités et interrogent la soutenabilité des trajectoires de développement étudiées. Dans le domaine de l’ESS, il cherche à mieux cerner le fonctionnement et le devenir des Scop en mobilisant l’approche des « communs ».

 Proposition de recherche :


Face à un contexte entrepreneurial de plus en plus risqué et incertain, marqué notamment par  la menace de dépôts de bilan (suite à des difficultés propres à l’entreprise, parfois liées à des stratégies purement financières) ou de disparitions (en l’absence de repreneur suite au départ du dirigeant), la transmission/reprise par la création de Scop semble être une stratégie récoltant les faveurs d’un nombre d’acteurs toujours plus nombreux (Huntziger et Jolivet 2011). A cette apparente « montée en légitimité » qu’alimente largement le mouvement coopératif, répond une certaine appréhension des salariés vis-à-vis du projet de création de coopérative et de ce qu’il implique, en termes de partage du capital et des responsabilités[2]. Ce moment particulier constitue donc un ensemble d’« épreuves critiques » (Boltanski, 2009) particulièrement intéressant à étudier car elle engage le collectif de travail dans la constitution, fragile et risquée, d’un « Commun ». Nous mettons ainsi nos pas dans ceux de différents auteurs qui abordent l’entreprise selon l’approche par le « Commun »[3], les Scop s’y prêtant bien (Charmettant et alii 2016).

Focaliser l’analyse sur la dynamique de transformation coopérative permet d’éviter le double écueil de la réification et de l’homogénéisation du bien commun entrepreneurial. Dans la lignée de ce que proposent à la fois Dardot et Laval (2015) et Boltanski (2009), nous insistons sur les tensions contradictoires qui structurent le monde de l’entreprise et développons une analyse processuelle de la coordination d’acteurs centrée sur la création, le maintien ou l’abandon d’institutions (Lawrence, Suddaby, Leca 2009). L’accent sera ainsi mis sur le « travail institutionnel » qui structure la négociation dans ce moment critique et qui doit permettre de transformer le « pari » initial (Lichtenberger, 2013) en réalisations concrètes légitimées par l’ensemble du collectif de travail et des parties prenantes l’accompagnant.

 Un positionnement institutionnaliste en termes de « travail institutionnel »

Les approches économiques dominantes (théorie et standard et théorie standard étendue) ont jusqu’à présent minimisé et marginalisé le rôle que jouent les entreprises coopératives et sociales dans les économies de marché contemporaines. Ce manque d’attention est certainement dû au fait qu’il est difficile, malgré des tentatives plus ou moins réussies (Barreto, 2011) d’appliquer aux coopératives et aux entreprises sociales deux des présupposés fondateurs des théories orthodoxes (la participation d’individus motivés quasi-exclusivement par leur intérêt propre, d’une part, et la maximisation des profits comme finalité collective, d’autre part). Les théories institutionnalistes standards ne sont pas parvenues non plus à expliquer la persistance et la croissance de ce type d’entreprise. Des propositions ont été toutefois formulées afin d’élargir les hypothèses des modèles économiques dominants et de considérer les entreprises comme des modalités singulières de coordination des activités économiques, dont les parties prenantes sont motivées par des finalités diverses et affichent des préférences complexes (Borzaga et alii, 2012)

 Face à ces travaux, des alternatives ont été élaborées théoriquement (Rothschild et Whitt, 1986 ; Cornforth, 1995 ; Barreto, 2011) et renseignées empiriquement (Whyte et Whyte, 1986 ; Defourny, 1990 Demoustier, 2003 ; S. Hernandez, 2006;  Marival et al., 2015…). Diverses propositions ont été formulées afin de comprendre la spécificité des organisations de l’économie sociale. En particulier, des analyses empiriques et soucieuses de reconvoquer des dynamiques institutionnelles historicisées se sont développées afin de mieux appréhender les SCOP, (Poisat et al., 2010, Gand, Segrestin, 2009), voire la transformation coopérative elle-même (Duport, 2009 ; Huntzinger et Jolivet, 2011). Aux travaux les plus récents de l’institutionnalisme rationnel est donc venue s’adjoindre une pluralité de contributions relevant soit de l’institutionnalisme historique ou sociologique.

Une approche relativement récente – le travail institutionnel (Lawrence, Suddaby, Leca 2009) – nous semble à même de fédérer un partie de ces contributions. En mettant au centre de l’analyse la co-détermination des institutions et des acteurs et en remobilisant la dynamique historique afin de saisir toute l’épaisseur des situations  dans lesquelles les acteurs sont insérés, cette approche semble être en mesure de saisir analytiquement la double dynamique sous-jacente à la transformation coopérative (C. Vienney, 1994) : le travail d’adaptation aux mutations de l’environnement (rapport d’activités) et le travail de transformation des acteurs (rapport de sociétariat).

 La démarche méthodologique

Nous allons donc chercher à mieux caractériser les premières étapes devant permettre de rendre praticable l’incertitude entourant le processus de transformation coopérative en insistant sur deux modalités du travail institutionnel conditionnant fortement la réussite du processus : la transmission (des savoirs et des pouvoirs) et la conviction (des prescripteurs et des travailleurs/repreneurs). Nous détaillerons dans un second temps l’équipement institutionnel crée ou activé par le collectif de travail afin de consolider et partager des communs.

Afin d’informer qualitativement les processus de transmission/reprise étudiées, nous procéderons à un traitement des premiers matériaux récoltés suite à l’étude de six entreprises situées au sein de la Région Rhône-Alpes Auvergne[4]. De nature exploratoire, ce travail doit au final permettre de mieux qualifier les variables qui encadrent et orientent ce processus et d’évaluer les conditions (économico-financières, socio-institutionnelles,…) se révélant favorables à la structuration d’une trajectoire soutenable orientée vers la constitution d’un « Commun ».

 Résultats

Au final, il semble possible de renseigner empiriquement différents niveaux de constitution de communs au regard du travail institutionnel réalisé par les diverses parties prenantes impliquées. La richesse des matériaux récoltés lors de nos enquêtes semble en effet pouvoir être ordonnée en positionnant les entreprises étudiées le long d’un continuum structuré par deux grandes variables : le niveau d’extension relatif au nombre de dimensions du commun repérées au sein des SCOP et le degré d’intégration (ou cohérence) de ces dernières relatif à la compatibilité des institutions « communes » et « classiques » à l’œuvre dans l’organisation considérée. Ce travail, en gestation, fera l’objet de recherches ultérieures afin d’en préciser le contenu et d’en renforcer la robustesse analytique.

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Barreto T. (2011) « Penser l’entreprise coopérative : au-delà du réductionnisme du mainstream », Annals of Public and Cooperative Economics 82:2  pp. 187–216


Bessire D., Mesure H. (2009) « Penser l'entreprise comme communauté : fondements, définition et implications », Management & Avenir, vol10, n° 30, p. 30-50.

Boltanski L. (2009), De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard.

Borzaga C., Depedri C, Tortia E. (2012)  « Diversité des organisations dans les économies de marché, rôle des coopératives et des entreprises sociales », Recma, 321, pp 32-49.

 Charmettant H., Juban J-Y., Magne N., Renou Y. (2016), « "Instituer une entreprise commune" : cadre juridique et travail institutionnel au sein des Scop », XVIe rencontres du Réseau interuniversitaire de l’économie sociale et solidaire (RIUESS), Montpellier, 25-27 mai.

Commission Européenne (2002), Rapport final du groupe d'experts sur la transmission des petites et moyennes entreprises, Bruxelles, Publications, 85 p.

Cornforth C. (1995) “Patterns of Cooperative Management: Beyond the Degeneration Thesis”, Economic and Industrial Democracy, vol 16, pp. 487–523

Dacheux E., Goujon D. (2013) « Cohésion sociale et richesse économique : compléter l'apport d'Ostrom par une étude empirique de l'ESS », Management et avenir, n°65, pp 141-163.

Dardot, P., Laval, C. (2015), Commun, collec. Poche, La Découverte, Paris.

Defourny J. (1990), Démocratie coopérative et efficacité économique. La performance comparée des SCOP françaises,Bruxelles, De Boeck Université.

 Desmoutier D. (2003) L’économie sociale et solidaire. S’associer pour entreprendre autrement, Paris, La Découverte.

 Desreumaux A., Bréchet J.-P. (2013), « L’entreprise comme bien commun », RIMHE, n°7, p. 77-93.

Gand, S. et Segrestin, B. (2009) « Peut-on partager la direction de l'entreprise ? Retour sur les entreprises démocratiques », Entreprises et Histoire, n° 57, pp. 126-140.

 Hernandez S. (2006) “Striving for Control: Democracy and Oligarchy at a Mexican Cooperative”, Economic and Industrial Democracy, Vol. 27(1), pp 105–135.

 Huntzinger F., Jolivet T.  (2011), « Transmission d’entreprises PME saines en Scop au regard de la relève de la direction : une étude exploratoire de faisabilité en France », Recma, n°316, p. 58-71.

Lawrence, T. B., Suddaby, R., & Leca, B. (2009), Institutional work: Actors and agency in institutional studies of organization. Cambridge: Cambridge University Press.

Lichtenberger Y. (2013), « Négociation sociale et construction d'acteurs complexes. Éloge du conflit et du compromis »,  Négociations, février, n° 20, p. 5-18.

Marival C., Petrella F., Richez-Battesti N. (2015), Associations de solidarité et nouvelles pratiques de coopération sur les territoires : état des lieux, effets, enjeux – L’innovation sociale dans les services à la personne, rapport de recherche pour le FDVA, LEST-Uriopss LR.

 Poisat J, Goujon D., Mieszczak JL (2010)  « SCOP côté nature bio : un exemple coopératif confronté aux réalités du marché dans une économie plurielle en devenir », RECMA, n°361, pp 50-62.

 Rothschild J., Whitt A.(1986) The Cooperative Workplace: Potentials and Dilemmas of Organizational Democracy and Participation. Cambridge: Cambridge University Press

 Vienney C. (1994), L’économie sociale, Paris, La Découverte.

Whyte WF, Whyte KL (1991) Making Mondragon: TheGrowth and Dynamics of the Worker Cooperative Complex. Ithaca, NY: ILR Press.



[1] avec Nathalie Magne (doctorante en économie à Lyon 2) et Emmanuelle Puissant (MCF en économie à la faculté d’économie de Grenoble).

[2] Des travaux de la Commission européenne (2002) ont fait ressortir cette réticence à sortir du salariat classique, encore plus pour la transmission que pour la création d’une nouvelle entreprise en statut coopératif.

[3] Cf. Bessire et Mesure (2009), Dacheux et Goujon (2013), Desreumaux et Bréchet (2013).

[4] Ces entreprises ont été sélectionnées conjointement avec l’URSCOP RA-A en fonction de leur pertinence vis-à-vis de notre questionnement et de leur « exemplarité » au regard d’enseignements qu’il est possible d’en tirer. Le travail d’enquête s’appuie sur une série d’entretiens (2h environ) avec une diversité de parties prenantes et sur le recueil d’informations diverses (presse, InfoGreffe…)

 

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