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Résumés des communications > Barbot Jolivet

Réflexions sur l’impact de la loi ESS concernant l’obligation d’informations des salariés sur la transmission des entreprises saines en SCOP

 

Marie-Christine Barbot-Grizzo 

Thierry Jolivet

GAINS/ARGUMANS, Université du Mans

 

 

Introduction

Parmi les transmissions-reprises à un ou plusieurs salariés, la constitution d’une SCOP, bien qu’en augmentation, est une des modalités possibles qui demeure toujours peu usitée en pourcentage. Les campagnes de sensibilisation à ce mode de transmission auprès de divers médias tendent à le faire connaître auprès des différents acteurs de la société civile. Toutefois, si les avantages de ce mode d’entrepreneuriat collectif sont nombreux (Barbot-Grizzo, 2014), il demeure exigeant en termes de conditions à réunir a priori pour être mené à bien (Barbot-Grizzo, 2013).

Un nouveau dispositif juridique visant à favoriser la reprise d'entreprises par les salariésnotamment sous forme de SCOP a été instauré avec la loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS. En particulier, deux obligations d’informations des salariés par le chef d’entreprise de nature très différente ont été introduites. Des modifications ont été apportées par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015. Le décret du 28 décembre 2015 relatif à l’information des salariés en cas de vente de leur entreprise et celui du 4 janvier 2016 relatif à l’information triennale des salariés précisent les modalités d’application de cette loi.

Pour la première situation plus restrictive concernant les entreprises, hors procédure judiciaire, n'ayant pas l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise[1], le chef d'entreprise a maintenant l'obligation d'informer ses salariés, à la fois, de sa volonté de procéder à une vente de son fonds de commerce ou de sa participation représentant plus de 50 % des parts sociales ou actions à des tiers extérieurs à la famille et du fait que les salariés peuvent présenter une offre de rachat. Une fois l'ensemble des salariés informés, le délai minimum est de deux mois[2] et le délai maximum est deux ans pour réaliser la vente. Ensuite, le propriétaire dirigeant demeure entièrement libre de gérer les négociations comme il l'entend c'est-à-dire qu'il n'a aucune obligation de transmettre des informations ou des documents relatifs à l'entreprise. Il n'est pas tenu non plus d'accepter une offre présentée par les salariés.

La deuxième situation plus flexible concerne l'obligation des chefs d'entreprises d'informer les salariés au moins tous les trois ans notamment sur les modalités de reprises des entreprises, les différentes étapes, les dispositifs d'accompagnement, les avantages et les inconvénients.

L’objectif de cette communication est de porter une réflexion critique sur les conséquences possibles de ce cadre juridique sur la gestion du processus de transmission des entreprises saines par création de SCOP. Nous excluons les entreprises en difficulté sous procédure judiciaire[3] où les salariés peuvent présenter une offre de reprise dans l’urgence au tribunal mus par l’alternative reprise ou liquidation judiciaire.

Même s’il est encore trop tôt pour mesurer les effets, notre interrogation porte, à la fois, sur la présentation d’une offre de reprise  viable par les salariés pour une entreprise saine dans ces conditions de délai très contraint et d’absence de préparation préalable et sur l’accès régulier à l’information concernant cette modalité comme levier susceptible de favoriser les reprises par les salariés en SCOP.

Notre réflexion s'appuie sur un cadre théorique reposant sur les recherches dégageant les critères favorisant les processus de transmission et ses différentes étapes ainsi que sur une méthodologie qualitative avec l'étude de trois cas diversifiés de  transmission d' entreprises saines en SCOP.

 

Les étapes et le rôle des acteurs

Quel que soit le mode transmission, le processus passe par des étapes permettant le transfert de la propriété et de la gestion (Hugron, 1991 ; Cadieux et Brouard, 2009). Le transfert du management est celui qui s’avère généralement le plus complexe et le plus long (Bah, 2006 ; Barbot-Grizzo, 2014).

L’anticipation permet la préparation indispensable des parties prenantes et de l’entreprise (Barbot-Grizzo, 2012). De Boislandelle et Estève (2015) parlent de « processus d’incubation » pour passer du statut de salarié à celui de dirigeant. Un mode de management spécifique et graduel rend possible ce passage à l’acte (Estève, 1997 ;  Barbot-Grizzo, 2014).

Les relations tout comme les comportements entre les acteurs clés (Bah, 2006 ; Cadieux, 2005) et en particulier le rôle de la réciprocité de la confiance sont essentielles pour mener à bien une transmission. Le comportement du chef d’entreprise est déterminant (Estève, 1997 ; Barbot-Grizzo et al., 2013 ; Barbot-Grizzo, 2014) lors de l’ensemble du processus en créant les conditions nécessaires à cette transformation. Le rôle de la confiance est apparu là encore comme central dans la réussite du processus (Picard et Thévenard-Puthod, 2004). En effet, les salariés qui poursuivent l'activité en SCOP doivent racheter l'entreprise et désigner le successeur. Comment dès lors s'engager sans une profonde confiance dans le projet ?

 

Résultats et analyse

Le contexte des trois cas de transmissions d’entreprises saines sous forme de Scop était un départ en retraite du chef d’entreprise. La collecte des informations s’est effectuée par entretiens semi-directifs, vingt-deux au total,  auprès des principales parties prenantes (cédant, successeur, salariés, acteurs du réseau SCOP). Une retranscription intégrale des entretiens effectués en face à face (excepté un salarié de BE) a permis une analyse de contenu thématique.

Les entreprises étudiées présentent des caractéristiques distinctes en termes d'activité et de taille.

Tableau 1 : Principales caractéristiques des entreprises

Caractéristiques des entreprises

MP

BE

EI

Activité

Mécanique de précision

Bureau d’études

Editions, imprimerie

Création

1980

1988

1991

Lieu

Loire-Atlantique

Ille et Vilaine

Finistère

Nombre de salariés à la date de la transmission

60

6 salariés + l’ancien propriétaire dirigeant

6 salariés + l’ancien propriétaire dirigeant

Création de la Scop

2004

2010

2013

 

Dans les trois cas, l’accès uniquement à l’information seule n’a pas été déterminant. Ce sont toutes les étapes et actions réalisées au fur et à mesure qui ont permis la réalisation de la transmission. Le chef d’entreprise était l’initiateur du processus.

 

Nos études de cas montrent que le rôle du cédant est alors déterminant dans l'instauration de  la confiance. Or, pour que la confiance s'établisse, l'information régulière des salariés sur l'orientation générale de l'entreprise, sur sa politique d'investissement, sur les commandes est une nécessité. Ainsi dans le cas MP, le cédant avait-il pris l'habitude d'informer très régulièrement les salariés dans ces différents domaines et nous montrons que c'est ce qui a permis une adhésion au projet de SCOP quand le cédant l'a proposé aux salariés. L'information des salariés nous apparaît donc comme cruciale, et on note qu'elle est désormais inscrite dans la loi. Il s'agit donc d'un premier pas vers une plus grande participation de ceux-ci à la vie de leur entreprise mais ce n'est qu'un premier pas. En effet, cette information est organisée « au moins une fois tous les trois ans » et dans les entreprises qui se contenteront de cette périodicité, il y a fort à parier que cela sera insuffisant pour instaurer la nécessaire confiance et faire ainsi adhérer au projet de SCOP.

Un second résultat de nos études de cas consiste en l'importance déterminante dans la réussite de la transformation en SCOP de l'accompagnement des acteurs de l'Union Régionale des SCOP. Ceux-ci en effet jouent un rôle dans l'instauration de la confiance chez les salariés. Par leur explications sur le dispositif de transformation, sur les plans technique, juridique et financier, ils donnent une crédibilité au projet et les salariés se sentent soutenus. Ce lien qui génère de la confiance peut être renforcé par la loi et son dispositif d'information des salariés.

En effet, on peut penser que des salariés régulièrement informés des conditions de reprise de leur société vont être plus enclin à adhérer à un éventuel  projet SCOP.

Le droit d'information des salariés peut en quelque sorte « préparer le terrain » chez les salariés et ainsi favoriser l'adhésion de ceux-ci à un projet de transformation de leur entreprise en SCOP.

Un troisième élément mis en évidence par nos travaux est le rôle du successeur. Celui-ci doit avoir la confiance à la fois du cédant et des salariés. Dans les cas que nous avons analysés, le successeur était choisi par le cédant parfois très en amont du processus de transformation en SCOP. Ainsi dans le cas MP, il s'agissait du directeur de production embauché cinq ans avant.

Ce «  successeur pressenti » s'est laissé convaincre de diriger la SCOP, mais cela a pris plusieurs années et il a facilement obtenu la confiance des salariés qui le connaissaient en tant que responsable de la production.

En effet, dans chacun des cas, il s’est écoulé plusieurs années entre l’information des salariés et la création effective de la SCOP avec des étapes et des actions permettant cette transmission (Barbot-Grizzo et al., 2013 ; Barbot-Grizzo, 2014). Attendre donc le dernier moment pour informer les salariés d'un projet de cession revient donc à les exclure du processus en ne créant pas les conditions nécessaires pour le dépôt d'une offre.

 

Conclusion

La transformation d'une entreprise en SCOP représente un changement d'envergure pour les salariés. Ceux-ci vont en effet devenir propriétaires de leur entreprise et participer à sa gestion par le biais du conseil d'administration. Ce changement va inévitablement rencontrer des résistances. Comme nous l'expliquait le cédant dans le cas MP, les réactions des salariés oscillaient entre deux attitudes extrêmes : « Oui, c’est nous qui allons gérer la boîte ! » et « Mais on m’utilise parce qu’il n’y a pas d’argent pour racheter la boîte ».

Face à cette ambivalence, le nouveau droit d'information des salariés peut aider à lever les réticences des salariés. En effet, on se souvient de la théorie de K. Lewin concernant la résistance au changement et que l'on peut résumer ainsi :

Pour vaincre la résistance au changement chez un individu, il vaut mieux s'attaquer aux forces qui s'opposent au changement chez l'individu plutôt que d'accroitre la pression en faveur du changement.[4]

Des salariés bien informés des conditions de reprises de leur entreprise  seront en quelque sorte « préparés » au changement et donc moins susceptibles de manifester de la résistance au changement.

Le nouveau droit d'information des salariés sur les conditions de reprise de leur entreprise est utile pour les entreprises dans lesquelles il n'y a pas de projet de Scop initié par le cédant. Ce nouveau droit , en informant régulièrement (tous les trois ans au minimum) les salariés peut en quelque sorte « susciter des vocations » parmi les salariés. En revanche, le second volet de la loi qui prévoit un délai de deux mois au minimum pour informer les salariés du projet de cession de l'entreprise apparaît comme extrêmement court pour que les salariés présentent une solution de reprise en SCOP.

En d'autres termes, nous pensons qu'il est possible que l'application du nouveau droit d'information des salariés favorise l'émergence d'un leader en interne mais nous pensons qu'un tel phénomène concerne davantage les entreprises en difficultés dont la pérennité est menacée plutôt que les entreprises saines dans lesquelles le choix du cédant apparaît déterminant.

Pour ce qui est de la reprise d'entreprises saines en SCOP, le nouveau droit peut aider le dirigeant à convaincre les salariés de la validité de la formule, mais le rôle du cédant et sa volonté de transmettre sous forme de SCOP restent essentiels à la réussite du processus. Le nouveau droit apparaît comme plus utile pour les entreprises connaissant des difficultés.

Par ailleurs, le nouveau droit d'information des salariés ne va pas modifier le management des entreprises vers plus de participation. Or comme le disent les experts des URSCOP, « nous n’allons pas persuader le cédant qu’il y a une solution coopérative lorsque c’est lui qui fait tout ». La nécessité d'un management participatif comme préalable à la transformation en Scop demeure un point essentiel et l’information des salariés apparaît dès lors comme une condition nécessaire mais non suffisante. Or, les propriétaires dirigeants de PME recourent peu à la gestion participative qui se résume en trois verbes « informer, consulter, mobiliser » (Perron, 1997, p.35). Le nouveau cadre juridique de la transmission n'aborde que le premier élément de ce tryptique. C'est déjà important. Sera-ce suffisant ?



[1] Pour les entreprises soumises à l'obligation d'avoir un comité d'entreprise, il n'y a pas de délai spécifique à respecter lors de sa consultation obligatoire pour tout projet de cession.

[2] Excepté si tous les salariés ont fait part explicitement de leur décision de ne pas présenter d'offre.

[3] Ces entreprises ne sont pas concernées par l'obligation d'information des salariés.

[4] Lewin Kurt, « Forces Behind Food Habits and Methods of Change » NRC Bulletin, n° 108, 1943.

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