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Résumés des communications > Caire Nivoix

Vers un indice de développement humain des entreprises (IDHE).

Comparaison des sociétés du CAC40 et des groupes mutualistes et coopératifs.

 

Gilles Caire, Maître de conférences HDR en Sciences Economiques, Université de Poitiers

gilles.caire@univ-poitiers.fr

Sophie Nivoix, Maître de conférences HDR en Sciences de Gestion, Université de Poitiers

sophie.nivoix@univ-poitiers.fr

 

 

Question de recherche

Quel environnement humain les entreprises offrent-elles et quel impact ce contexte peut-il avoir à terme sur les salariés, et donc sur les structures auxquelles ils appartiennent ? Parmi les domaines dans lesquels les entreprises sociales et solidaires devraient établir une différence avec celles de l’économie classique, celui-ci est important. Jusqu’à présent nous manquons d’instruments de mesure permettant d’apporter des éléments de réponse à ces questions spécifiques. Le champ de l’ESS, de par son orientation et les valeurs qui le sous-tendent, gagnerait à proposer des outils qui non seulement seraient adaptés à son optique, contrairement aux indicateurs purement financiers, mais aussi mettraient en lumière des aspects jusqu’à présent peu explorés par l’économie ou la gestion, y compris par le domaine des ressources humaines. En outre, de tels outils pourraient être appliqués à des entreprises hors du champ de l’ESS, dans la mesure où elles reposent également essentiellement sur des individus.

Il existe une grande variété de classements et indicateurs concernant les entreprises, suivant les caractéristiques de leur activité qui sont prises en considération. Outre les agences de notation financière telles que Moody’s et Standard&Poor’s, se sont développés des organismes de notation dédiés notamment aux aspects environnementaux, sociaux ou sociétaux tels que Robeco (durabilité), Vigéo (RSE), Sustainalytics (analyse ESG et ISR) ou CDP (Carbone Disclosure Project).

Cependant, il reste à construire un indicateur synthétique, sectoriellement et nationalement comparable, qui renseignerait non pas sur les performances financières ou commerciales des entreprises, déjà abondamment décrites, mais sur leur développement en relation avec leur environnement humain.

Certes, les indicateurs relatifs aux ressources humaines sont multiples, mais ils offrent tous une lecture essentiellement interne de l’entreprise, et relèvent de la logique « tableau de bord », qui ne permet pas de comparer aisément les entreprises entre elles. L’objectif est ici d’offrir une évaluation simple, sans être trop simplificatrice, et d’inclure des dimensions dont la portée est également externe à l’entreprise. Dans une démarche à la fois exploratoire et à visée opérationnelle, nous abordons les entreprises dans ou hors ESS, afin non pas de mesurer la ou les valeurs qu’elles portent ou qu’elles créent, mais les conditions humaines dans lesquelles elles fonctionnent.

 

Cadrage théorique

Le contexte théorique de la recherche s’inscrit dans une démarche large, en lien avec la conception tridimensionnelle du modèle de performance sociale de Carroll (1979), les travaux sur la « gestion durable des ressources humaines » (Poissonnier, Drillon, 2008) et ceux sur la RSE (Berland, 2007, Girerd-Potin et alii 2011). Dans le domaine de l’Economie Sociale et Solidaire, et plus particulièrement du secteur mutualiste, la recherche s’inscrit dans la lignée des travaux entamés par le CJDES (Capron, Leseul, 1997) sur l’élaboration d’un « bilan sociétal », et plus récemment par Gendron (2011) sur ESS et développement durable, par Frémeaux (2013) sur l’évaluation des impacts de l’ESS, et par Caillé et Weber (2015) sur la construction d’un indicateur de création de valeur sociale.

Au plan international, l'indice de développement humain (IDH) est une mesure de synthèse du niveau moyen atteint dans les dimensions clés du développement humain : une vie longue et saine, l'acquisition de connaissances et un niveau de vie décent (PNUD, 2015).

 

 

Schéma 1. Positionnement de la recherche sur l’IDHE

 


Méthodologie

En s’appuyant sur trois dimensions équivalentes à celles de l’IDH, il nous fallait des données concernant les notions de revenu, de santé et d’éducation. Nous avons dû faire face aux contraintes classiques inhérentes à l’élaboration d’un indice, à savoir un niveau suffisant de pertinence, une bonne disponibilité de l’information (dans les documents de référence des entreprises, leurs rapports sociaux ou RSE), et une réelle comparabilité entre les entreprises observées, dans ou hors du champ de l’ESS.

Le nombre de composants à retenir et la manière dont ils sont synthétisés pour aboutir à un indicateur final ont également constitué une difficulté majeure, à laquelle nous avons ébauché une réponse. De même, il a été nécessaire d’arbitrer entre le souci d’exhaustivité de l’information et le besoin de synthèse, afin d’aboutir à une réelle opérationnalisation de la démarche. Le tableau 1 synthétise les différentes dimensions de l’IDHE.

Tableau 1. Les trois dimensions de l’IDHE

Revenu 

Santé

Education

Charges de personnel par salarié

 

Nombre de jours d’absence par an par salarié

Nombre de jours de formation par an par salarié

Rapport entre l’impôt sur les sociétés et le chiffre d’affaires

Emission de tonnes CO2 par salarié

 

Proportion de femmes parmi les cadres

 

 

 

Le calcul de l’Indice de Développement Humain des Entreprises s’effectue alors via une moyenne arithmétique :

IDHE = (R+S+E)/3     

                                              

Résultats

Nous avons d’abord calculé les valeurs de l’IDHE sur les entreprises du CAC40. Concernant les valeurs de l’IDHE, qui rappelons-le peuvent évoluer par construction entre 0 et 1, on note un étalement assez important (de 0,275 à 0,70). Seules la première entreprise (Michelin) et les deux dernières (Alstom et Lafarge-Holcim) présentent des valeurs qui se détachent quelque peu de leurs voisines immédiates. Ce constat témoigne de la bonne capacité de discrimination de cet indice, même parmi des entreprises toutes cotées, de grande taille et fortement internationalisées.

On constate également que les activités liées à l’énergie et à la finance enregistrent des IDHE plus élevés que les autres, et que le secteur du BTP est en retrait, avec la moins bonne place pour toutes les dimensions. Le détail des valeurs minimales et maximales indique par ailleurs que l’industrie (qui regroupe 21 des 40 valeurs de l’indice CAC) est le secteur présentant le plus d’hétérogénéité, en raison de la variété des firmes qui s’y trouvent.

L’IDHE étant le fruit d’une approche économique et gestionnaire qui intègre les préoccupations des parties prenantes, il est ensuite intéressant d’analyser plus précisément la situation d’un secteur dont les acteurs sont aussi bien des entreprises capitalistes classiques que des structures coopératives ou mutualistes, liées à l’ESS. Le secteur financier constitue en l’espèce un cas idéal, étant donné qu’il se compose des deux types de structures et que chacune représente une part importante du secteur. Nous avons distingué d’une part l’activité d’assurance d’autre part l’activité bancaire.

Si AXA est la seule compagnie d’assurance de l’indice CAC40, plusieurs mutuelles existent dans ce secteur. Nous avons choisi d’en analyser trois (voir tableau 2), dont une de très petite taille, afin d’obtenir une certaine représentativité des acteurs de ce secteur.

Tableau 2. Caractéristiques de l’IDHE pour trois mutuelles d’assurance

2014

IDHE

Dimension revenu

Dimension santé

Dimension éducation

MAIF

0,52

0,46

0,75

0,34

MACIF

0,56

0,44

0,84

0,40

Mutuelle des Motards

0,44

0,40

0,75

0,17

AXA

0,45

0,33

0,71

0,30

 

Ces valeurs placent les 3 mutuelles à des niveaux moyens comparés aux entreprises du CAC 40, et à AXA en particulier. Pour le rapport IS/CA, un taux particulièrement faible pour la Mutuelle des Motards (petite structure peu susceptible de faire de l’optimisation fiscale internationale) en 2014 s’explique par un report de déficits antérieurs. Trois valeurs maximales (égales à 1) ont été observées pour les émissions de CO2 en raison de leur faible niveau comparé à certaines firmes industrielles. Il en découle une très bonne valeur pour l’indicateur « Santé ». Concernant les jours de formation, la MACIF apparaît nettement en tête, et se situe au niveau des 10 entreprises les mieux notées du CAC 40. Globalement AXA enregistre des scores un peu inférieurs à celui de 2 des 3 mutuelles, et inférieur de manière plus marquée pour le taux de féminisation des cadres (37% seulement) et pour le rapport IS/CA (très faible en raison de l’optimisation fiscale internationale).

Concernant le secteur bancaire, une comparaison des principales banques françaises est possible avec les cinq principales, dont deux sont des banques capitalistes et trois des banques coopératives (avec l’une d’entre elles, le Crédit Agricole, qui possède une structure juridique cotée). Le tableau 3 présente le détail des dimensions de l’IDHE pour chacune d’entre elles.

Tableau 3. Caractéristiques de l’IDHE pour les cinq principales banques françaises

2014

IDHE

Dimension revenu

Dimension santé

Dimension éducation

BNP Paribas

0,58

0,73

0,67

0,34

Crédit Agricole

0,53

0,59

0,99

0

Société Générale

0,59

0,61

0,79

0,37

BPCE

0,60

0,81

0,75

0,26

Crédit Mutuel

0,71

0,75

1,00

0,37

 

Les IDHE sont assez proches, en raison du secteur commun, mais on note quelques différences. Le Crédit Agricole apparaît moins bon que les autres, en raison d’un moins grand nombre de jours de formation de ses salariés. Il est cependant « sauvé » par son faible absentéisme, si faible, que comme pour le Crédit Mutuel se pose la question du contenu exact de la mesure. Le Crédit Mutuel ressort comme le « bon élève » du secteur, et n’affiche aucun indicateur de faible niveau. La BPCE possède le meilleur indicateur de revenu en raison de charges de personnel par salarié plus élevées. Concernant la gestion fiscale les deux banques capitalistes semblent optimiser davantage leur situation, car leur ratio IS/CA est plus faible que pour les autres banques.

Comme pour l’assurance, toutes les banques ont d’excellents niveaux d’émission de CO2, car l’échelle est basée sur les firmes du CAC40, fortement influencée par l’industrie.

Il semblerait donc qu’il existe un petit « effet ESS » sur le secteur de l’assurance mais pas sur le secteur bancaire. Ce résultat observé sur une seule année demanderait donc à être approfondi sur plus long terme et pour l’assurance avec d’autres structures, mutualistes ou non.

Une lecture de l’IDHE peut aussi se réaliser en regroupant différemment les indicateurs choisis en spécifiant trois dimensions de l’utilité sociale. L’utilité sociale individuelle inclut la notion de capacitation avec la formation des salariés, celle du bien-être au travail en liaison avec les jours d’absence, l’absence de discrimination avec la proportion de femmes parmi les cadres, et le pouvoir d’achat au travers des rémunérations. L’utilité sociale collective interne s’appuie sur l’apprentissage organisationnel grâce à la formation des salariés, sur le partage équitable de la charge de travail suivant le niveau d’absentéisme, et sur le degré d’égalité des genres mesuré par la proportion de femmes parmi les cadres. L’utilité sociale externe quant à elle se compose d’une externalité positive issue de la formation, d’une sécurité dont bénéficient les personnes absentes de leur travail, d’une contribution à l’égalité des genres dans la société, d’une externalité négative sur le plan environnemental, et d’une externalité fiscale qui contribue à l’effet du multiplicateur économique.

Concernant l’activité d’assurance (tableau 4) il apparaît que la MACIF a le meilleur niveau de dimension individuelle et collective (en cohérence avec son slogan « la solidarité est une force »), tandis que la MAIF possède la meilleure dimension externe (ce qui correspondrait à son slogan d’ « assureur militant »). Axa, assureur privé, possède des valeurs d’utilité plus faibles sur chacune des dimensions, mais son orientation stratégique (avec le slogan « réinventons notre métier ») ne répond pas aux mêmes objectifs que les mutuelles. Pour les assurances, il semble donc qu’il y ait un « effet ESS » pour la mesure de l’utilité sociale.

Tableau 4. Les dimensions de l’utilité sociale pour trois mutuelles d’assurance

2014

Dimension individuelle

Dimension collective

Dimension externe

MAIF

0,43

0,53

0,62

MACIF

0,58

0,61

0,58

Mutuelle des Motards

0,44

0,51

0,52

Rappel : AXA

0,42

0,41

0,45

 

S’agissant de l’activité bancaire, on note que comme pour l’IDHE la différence n’est pas sensible entre les banques capitalistes et les banques coopératives (tableau 5). Toutefois sur chaque dimension le Crédit Mutuel ressort en tête, ce qui lui permet d’être en concordance avec son slogan « une banque qui appartient à ses client, ça change tout ». A l’inverse, le Crédit Agricole occupe pour chaque dimension la dernière place, mais sa communication (« le bon sens a de l’avenir ») ne renvoie pas à la notion d’utilité sociale. BNP Paribas (« la banque d’un monde qui change ») enregistre des valeurs moyennes sur toutes les dimensions, la Société Générale (« développons ensemble l’esprit d’équipe ») occupe la seconde position sur la dimension collective, et la BPCE (« la banque qui donne envie d’agir ») la seconde position sur la dimension individuelle.

Tableau 5. Les dimensions de l’utilité sociale pour les cinq principales banques françaises

2014

Dimension individuelle

Dimension collective

Dimension externe

BNP Paribas

0,54

0,46

0,62

Crédit Agricole

0,44

0,33

0,60

Société Générale

0,53

0,53

0,65

BPCE

0,57

0,43

0,64

Crédit Mutuel

0,65

0,64

0,78

 

Nous aurions souhaité pouvoir intégrer des informations plus directement liées à la notion de création de valeur sociale (voir Caillé et Weber, 2015), telles que les déciles de salaires, les déciles de montant d’intéressement et de participation par salarié, le taux de participation aux élections professionnelles (CE et DP), la satisfaction des salariés au travail, la notion de confiance entre collègues et envers la hiérarchie par exemple. Toutefois, ces informations se révèlent bien trop disparates d’une firme à l’autre pour permettre des comparaisons valables.

 

Bibliographie

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Frémeaux Ph., 2013, L’évaluation de l’apport de l’économie sociale et solidaire, Rapport de mission au Ministre délégué en charge de l’Economie sociale et solidaire et de la Consommation.

Gendron C., Gagnon Ch., 2011, « Développement durable et économie sociale : convergences et articulations », Cahiers de la CRSDD, Université du Québec à Montréal, No. 02-2011.

Girerd-Potin I., Jimenez-Garcès S. et Louvet P., 2011, « The link between social rating and financial capital structure », Finance, vol. 32, p.9-52.

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Sen A., 1991, Éthique et économie, PUF.

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