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La gouvernance participative dans les coopératives au Maroc: le dilemme de la performance et la solidarité

  

Iklhas Mergoum

Doctorante, Laboratoire de recherche sur la Compétitivité Economique et le Management de l’Entreprise, Université Mohamed V de Rabat, Maroc

Said Hinti

Professeur d’économie, Laboratoire de recherche sur la Compétitivité Economique et le Management de l’Entreprise, Université Mohamed V de Rabat, Maroc

                       

 

Résumé

Les coopératives constituent un mode organisationnel original et subissent actuellement, de profondes restructurations, notamment dans le secteur agricole, au sein duquel les types de gouvernance sont en pleine évolution. En effet, Le paysage coopératif agricole est en forte transformation depuis de nombreuses années, entre disparitions, fusions et consolidations. Au Maroc, les coopératives jouent un rôle important dans le développement socio-économique à travers leurs valeurs de démocratie, de solidarité et d’entraide. Nous avons constaté que plusieurs travaux théoriques ont tenté de proposer une description des particularités coopératives, par contre  peu de travaux  empiriques  ont été réalisés pour étudier les particularités de ces structures en termes de mécanismes de gouvernances.

L’objectif de cette recherche est triple : premièrement, présenter les spécificités  des coopératives; deuxièmement, analyser les particularités et les enjeux de la gouvernance coopérative; et finalement mettre un accent particulier sur les pratiques et les mécanismes de gouvernances des coopératives dans le contexte marocain, à travers l’étude qualitative de deux coopératives agricoles dans l’oriental du Maroc. Les principaux résultats de l’étude, montrent l’originalité des pratiques de gouvernance au sein des  coopératives agricoles, se caractérisant par des relations complexes et surtout par un modèle de gouvernance hybride qui fusionne les principes coopératifs fondamentales et les modes de management des entreprises capitalistes. Cette analyse ouvre des pistes de recherche empirique intéressantes pour les chercheurs et les praticiens qui s’intéressent à ce champ d’étude.

 

Mots clés :

Gouvernance, coopératives, solidarité, performance.

 

La gouvernance des  coopératives dans les pays en voie de  développement : cas du Maroc

La problématique de la gouvernance coopérative se pose d’une manière  différente dans les  pays en voie de développement. Les types de coopératives qui existent dans ces pays sont souvent les coopératives agricoles multifonctionnelles (approvisionnement, commercialisation…) et les coopératives d'épargne et de crédit. La majorité des coopératives agricoles sont consacrées aux produits de rente et regroupent des paysans qui se regroupent  pour s'approvisionner en intrant et pouvoir  commercialiser d’une manière collective leurs produits. Évidemment, les coopératives primaires agricoles sont installées dans des zones rurales et leurs adhérents sont en  grande majorité d’un niveau scolaire très modeste. Ils ne sont  pas forcément tous conscients  des concepts coopératifs et leur implication effective  dans la gestion de la coopérative constitue un véritable défit puisque tous les mécanismes de la gouvernance  participative  (assemblée générale, comités divers et conseil d'administration) leur échappent. Par ailleurs, les gérants sont  souvent relativement mieux  formés et peuvent se retrouver en position  de domination dans certains cas, ce qui s’oppose aux principes et valeurs de la gouvernance coopérative.

Au Maroc, le secteur coopératif fait partie du paysage socioéconomique du royaume depuis plus d’un demi-siècle. Il occupe une place considérable  dans le tissu économique national et joue un rôle primordial  dans le développement durable ainsi il représente  une part importante dans les  différents programmes de développement socio-économique du pays. Ce secteur est considéré comme un levier important dans la création d’emplois et il est l’origine  de grandes opportunités pour créer des projets dont le but principal est  de combattre l’exclusion, la pauvreté, et l’intégration des petits producteurs dans le marché. Cependant, Il est difficile de trouver des statistiques fiables sur les coopératives pour mener une analyse approfondie et tirer des conclusions significatives, car ces données sont éparpillées, insuffisantes et parfois absentes pour certaines périodes. Le lancement de l’Initiative Nationale du développement Humain (INDH)en 2005 a encouragé la création des coopératives, notamment dans le milieu rural, qui souffrait de l’exclusion et de la pauvreté. Dans ce cadre, le gouvernement marocain a fait de grands efforts pour simplifier les procédures de création des coopératives et pour valoriser leurs produits en mettant à leur disposition de nouveaux mécanismes de financement et des structures d’accompagnement tel que l’office de développement de la coopération (ODCO).

Au niveau institutionnel et réglementaire,  les coopératives au Maroc étaient régies avant 2014  par la loi 24-83. Cette loi définissait le statut général et les missions des coopératives. Conscient de l’importance de la qualité du cadre législatif pour l’évolution des coopératives, le gouvernement marocain a mis en vigueur la loi 112.12 à partir de 2014. Il s’agit d’une nouvelle loi dont l’objectif est de doter les coopératives marocaines d’un cadre juridique qui leur permettra d’atteindre leurs objectifs, d’optimiser leur rentabilité et de les encourager à se transformer en entreprises structurées et compétitives. En s’inspirant des meilleurs standards au niveau international dans le respect des principes coopératifs universels, cette loi a l’ambition de  permettre aux coopératives marocaines  de s’inscrire dans la dynamique des mutations du contexte économique national et international en vue de mettre le cadre coopératif marocain au diapason de la législation internationale, à travers les opportunités de coopération, d’échanges d’expertises et d’intérêts entre les coopératives marocaines et leurs homologues dans d’autres pays.                                        .

Les efforts de l’ODCO, en collaboration avec le gouvernement marocain, ont donné leurs fruits sur le terrain ; ainsi le nombre des coopératives a connu ces dernières années une évolution spectaculaire. Selon les statistiques de l’ODCO, le tissu   coopératif marocain est constitué au 31 Décembre 2015 de 15 735 coopératives et unions des coopératives avec 536 920 adhérents, réparties en une vingtaine de secteurs et en une centaine de branches d’activité. Il se caractérise par la prépondérance structurelle de trois secteurs : l’agriculture, l’artisanat et l’habitat avec respectivement 67%, 16% et 7% de l’ensemble des organismes coopératifs. Ces coopératives, emploient 24.719 personnes et détiennent des capitaux de 6,4 milliards de dirhams (données relatives à 1.163 coopératives déclarantes en 2008). Dans ce cadre, et en se basant sur une approche participative et les expériences internationales en la matière, le Maroc a adopté une stratégie nationale de développement de l’économie sociale et solidaire qui favorise la synergie et la complémentarité entre les actions des différents acteurs publics en matière d’économie sociale. Ainsi l’un des principaux objectifs de cette stratégie est de renforcer l’adhésion de la population active aux coopératives, en augmentant le taux de pénétration de la coopérative parmi cette population de 3,1% en 2011 à 7,5% à l’horizon 2020.

Cependant, en terme de gouvernance, les coopératives marocaines ne sont pas toujours capables de respecter les  valeurs et les principes fondateurs des coopératives ni les pratiques de la bonne gouvernance. Cela est due d’une part à l’incompétence des gérants qui  sont généralement limitées au savoir faire du métier de base avec des compétences faibles voire inexistantes pour les activités de gestion  ce qui fragilise les coopératives, et d’autre part, au faible niveau scolaire voire l’analphabétisme des membres. Cela renforce la dépendance des coopératives au soutien des services de l’Etat .En outre, les produits des coopératives marocaines restent encore pas assez  valorisés  sur le marché national et international à cause d’un grand déficit en matière de conception de conditionnement et d’emballage et aussi de  l’inexistence de vrais politiques marketing adaptées au spécificités de ces produits , ce qui engendre  des difficultés d’accès aux circuits de commercialisation.

 

Etude empirique des mécanismes de gouvernance dans les coopératives marocaines

Pour trouver des réponses à la problématique de notre étude, nous  avons choisis de réaliser une étude qualitative basée sur l’étude de cas de deux coopératives agricoles spécialisées dans la filière des agrumes dans l’oriental du Maroc. Le choix de ce secteur d’activité pour notre étude se justifie par le fait que les  agrumes  constituent un des principaux produits des exportations  agricoles marocaines et spécifiquement de la région de l’oriental .Il  représente ,dans le cadre du plan vert adopté par le Maroc ,le moteur économique de ce territoire. Aussi par le fait que la création des coopératives des agrumes a eu des retombés positifs indéniables sur le plan socio-économique de la région en  assurant des emplois stables et en dynamisant la vie économique de la région.

Notre étude  été axée sur des entrevues semi directives qui ont été menées avec succès grâce à  l’élaboration d’un guide d’entretien. L’étude de ces deux  cas nous a   permis d’effectuer de différentes observations sur les conditions de travail et les mécanismes de gouvernance adoptés par ces coopératives.Par ailleurs,l’élaboration de ce travail a nécessité différents modes de cueillette de données.

Pour analyser ces deux coopératives et pour  bien cerner nos champs d’analyse, notre étude s’est focalisée sur les éléments de la gouvernance suivants :

  • Pouvoirs et gestion démocratique (Assemblée générale, conseil d’administration, directeur /président, relation entre les membres)
  • Transparence et communication
  • Formation

Nous pensons que ce sont les principaux éléments de gouvernance et les clés du succès de chaque coopérative. Ainsi, la logique de cette  étude est fondée sur des l’analyse et l’interprétation des relations entre les différentes dimensions et acteurs de la gouvernance que nous avons définies.

En se basant sur les résultats de notre étude, on peut dire que la pérennité et le développement de la coopérative dépendent principalement  de la qualité des mécanismes de gouvernance adoptés. Une bonne gouvernance, nécessite non seulement  une  détermination claire et un respect des champs de compétence, mais aussi un certain équilibre entre les instances de pouvoir. Il est primordial que la capacité du conseil d’administration soit renforcée pour permettre une contribution significative et soutenue des administrateurs.

Cependant, il s’avère d’après notre étude que l’association de la rentabilité économique et les principes de l’identité coopérative est en réalité  un équilibre difficilement ou relativement réalisable en particulier dans le cas des  coopératives agricole. Cela est due  principalement au manque de compétences et  surtout à l’absence de la  formation des membres en matière de gouvernance coopérative, qui engendre une démotivation et un désengagement presque total de ces membres dans tout ce qui concerne la gestion de la coopérative et ses orientations stratégiques. C’est le directeur qui s’occupe de la gestion générale et quotidienne de l’organisation et il est l’acteur principal dans le processus de la prise de décision. On peut dire qu’il s’agit d’une fusion entre quelques principes coopératifs et le mode de fonctionnement des entreprises capitalistes où le pouvoir de décision est concentré entre les mains de la direction. Cela  dévoile une certaine  dégradation de l’identité coopérative au profit d’un nouveau model  de coopération hybride dans lequel  la coopérative est en partie transformée en société par actions dont le premier souci de chaque membre est la maximisation de son profit.

Nous sommes convaincu que la formation est l’élément capable d’assurer l’avenir du model coopératif, en particulier dans le secteur agricole au Maroc, en  développant à la fois un modèle démocratique coopératif et une gouvernance qui impose une vision et une ambition internationale capable de faire face  aux enjeux imposés par un environnement mondialisé et un marché caractérisé par une dominance d’une logique capitaliste et une compétition acharnée. D’autre part, le rôle et la qualité du conseil d’administration sont aussi un élément  vital et primordial dans la bonne gouvernance de la coopérative, à condition que les administrateurs soient capables de jouer leur rôle pleinement en étant capable de répondre aux besoins quotidiens et opérationnels des membres tout en ayant une vision collective de long terme qui peut assurer la pérennité et le développement de la coopérative.

Enfin, Il est nécessaire de préciser que  les résultats issues de notre étude qualitative, ne prétendent pas être généralisables à l’ensemble des coopératives marocaines, mais peuvent être considérés comme des pistes de réflexion pour d’éventuelles futures études ou pour inspirer de potentielles initiatives en entrepreneuriat coopératif au Maroc.

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