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Résumés des communications > Mergoum Hinti 1

Quelle contribution des banques coopératives  au développement

socio-économique des territoires au Maroc ?

 

Iklhas Mergoum

Doctorante, Laboratoire de recherche sur la Compétitivité Economique et le Management de l’Entreprise, Université Mohamed V de Rabat, Maroc

Said Hinti

Professeur d’économie, Laboratoire de recherche sur la Compétitivité Economique et le Management de l’Entreprise, Université Mohamed V de Rabat, Maroc

 

 

Introduction

Depuis maintenant plus d’un demi-siècle, le secteur bancaire est largement dominé par le modèle des sociétés de capitaux dans lesquelles le pouvoir de décision de chacun dépend de la valeur des actions en sa possession. Ce modèle s’est révélé très efficace pour mobiliser des capitaux, cependant il a causé la  concentration du pouvoir de décision entre les mains de quelques personnes  physiques ou morales  au détriment des besoins de la majorité. En effet, dans un contexte de gouvernance  fondée sur le pouvoir financier, le risque est grand que des dirigeants prennent des décisions favorables à leurs propres intérêts à court terme au détriment de ceux de l’entreprise à long terme et de ses parties prenantes. La crise financière qui a éclaté en 2008, a dévoilé les limites de cette économie motivée par les seuls profits à court terme et au bénéfice d’une minorité.

Par contre, la banque coopérative est un modèle qui a su marier la performance économique à la satisfaction des intérêts collectifs de ses membres. Des recherches ont montré que les banques coopératives avaient bien mieux résisté à la crise financière que les banques classiques (Groeneveld, 2012).Non seulement  ces banques  ont mieux résisté au cyclone financier (Birchall et Ketilson, 2009), mais elles  continuent à jouer également un rôle considérable  dans développement  socio-économiques de leurs membres et des collectivités locales. Cette réussite est le résultat des orientations stratégiques  très  différentes de celles empruntées par les banques capitalistes et qui sont le fruit des spécificités des coopératives tel que la gouvernance participative et l’ancrage dans leurs territoires. En effet, plusieurs recherches s’accordent à spécifier les banques coopératives par leur objectif d’utilité sociale, ou pour le dire autrement, leur contribution à la production de l’intérêt général ou du bien être (Allen,Gale, 1995 ; Labaye, Lagoutte, Renversez, 2002).

Il nous a donc semblé intéressant d’engager un travail de recherche autour de cette thématique afin de poser des jalons ou des pistes de réflexion sur la capacité d’innovation sociale des banques coopératives en s’inspirant des travaux de Vienney (1980, 1994),tout en essayant d’élucider le rôle que revêt  la banque coopérative marocaine dans le développement local. De façon plus spécifique, nous posons les questions suivantes : comment les banques coopératives favorisent-t-elles l’émergence et le développement d’un territoire ? Participent-elles à la cohésion économique et sociale des territoires au sein desquels elles inscrivent leurs activités ? Leurs double rôle de citoyen ancré sur un territoire et d’entrepreneur collectif en est un levier pour assurer la production des retombées positifs pour le développement local ? Nous illustrerons de façon concrète ce croisement entre banques coopératives et territoires à travers l’étude des banques populaires régionales au Maroc.

Pour trouver des réponses à la problématique de notre recherche, nous  avons choisis de réaliser une étude qualitative afin de recueillir des informations originales en nous appuyant sur des entretiens menés, d’une part  avec des fonctionnaires et responsables au sein des banques coopératives et d’autre part avec les parties prenantes concernées. Ainsi nous avons sollicité des clients et des entrepreneurs locaux qui ont bénéficié des crédits et qui contribuent par là même à renforcer le développement local, afin d’avoir  leur perception sur la contribution de la banque coopérative au développement local. D’autre part, nous avons effectué  aussi une recherche documentaire qui a consisté en l’examen d’un certain nombre d’études de cas, de recherches et d’analyses provenant de différents pays, universités et organismes.

 

L’ancrage territorial de la banque coopérative

La logique des banques issues de l’économie sociale et solidaire est  profondément inspirée de la philosophie coopérative. L’objectif principal n’est pas la rémunération du capital mais l’amélioration des conditions de vie des populations par la mise en commun de ressources. La rentabilité ne s’exprime que sur le long terme et c’est la pérennité de l’entreprise et la satisfaction des besoins de ses membres  qui sont visés en premier lieu. L'efficacité de la gestion d'une banque coopérative ne repose pas uniquement sur la maximisation des profits, mais également sur un consensus implicite de parties prenantes afin de servir aux mieux les intérêts des membres et des collectivités (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006).

Il est connu que le souci du développement communautaire est implicite dans le septième principe coopératif « Engagement envers la communauté ». Ce principe stipule que les coopératives travaillent pour le développement durable de leurs communautés par le biais de politiques approuvées par les membres. Ainsi, par leur ancrage local, tant humain que financier, les coopératives bancaires peuvent être un outil opportun pour les territoires sachant créer et mobiliser des collectifs puisqu’il s’agit d'est une forme d’entreprise dont l'objet social est de développer un service ou une activité ayant un caractère collectif sur un territoire. En effet, plusieurs recherches confirment que les banques coopératives sont  mieux outillées que les autres banques pour être considérées comme des partenaires de leurs communautés et leurs territoires, puisque leur gouvernance est structurellement caractérisée par un fort ancrage territorial, qui résulte lui-même d’un enchevêtrement de proximités dont les dimensions sont multiples.

En effet, la gouvernance démocratique des banques coopératives se caractérise par un fort ancrage territorial qui signifie qu’elles ont non seulement des liens marchands mais aussi des liens non marchands et non-monétaires avec d’autres parties prenantes. Ces liens contribuent à la production et au partage de représentations et de valeurs coopératives entre ces banques et la communauté auxquelles elles appartiennent en favorisant ainsi l’émergence de différentes formes de proximités entre elles. Ces liens de proximité peuvent renforcer les opportunités d’action collective, et la possibilité d’émergence d’un sentiment de partenariat. En effet, le  statut particulier des banques coopératives  qui se base sur le sociétariat et l’organisation décentralisée orientent fortement leur ancrage dans des territoires communs à travers plusieurs niveaux de proximité à savoir : la proximité géographique, organisationnelle et institutionnelle.

 

La contribution de la banque coopérative au développement socio-économique des territoires au Maroc

Le rôle primordial que jouent les coopératives dans l’évolution des conditions économiques et sociales au Maroc n’est plus à démontrer. Cependant le modèle de la banque coopérative  demeure encore méconnu dans ce pays malgré son succès international et son rôle considérable dans la démocratisation des services financiers et sa contribution dans le développement local. Ce modèle bancaire particulier est  même considéré par plusieurs experts marocains comme  la meilleure alternative face aux échecs du capitalisme d’aujourd’hui et constitue une réelle plus-value sociétale pour les territoires et le soutenir  doit être une priorité en particulier dans les pays émergents comme le Maroc. En effet, ces banques  ont ouvert de grands horizons  pour la création des projets économiques et sociaux au Maroc dont l’ambition principale  est de combattre la pauvreté, l’exclusion bancaire, et l’intégration des petits entrepreneurs dans le marché.

Au Maroc, le seul cas des banques coopératives qui existe est le groupe des banques populaires en particulier les Banques Populaires Régionales (BPR). Les BPR sont des banques de proximité sous forme de coopératives ; actuellement au nombre de 9, elles constituent le socle du Crédit Populaire du Maroc. Il s’agit des établissements de crédit habilités à effectuer toutes les opérations de banque dans leurs circonscriptions territoriales respectives. Leur  mission principale est de contribuer au développement de leur région par la diversité des produits qu’elles offrent, le financement de l’investissement et la bancarisation de l’économie. Elles constituent le levier du Crédit Populaire du Maroc dans la collecte de l’épargne au niveau régional, sa mobilisation et son utilisation dans la région où elle est collectée.

Les Banques Populaires Régionales marocaines sont caractérisées par leurs compétences centrées sur les régions de leurs implantations. Elles assument leurs rôle de locomotive régionale de financement des différents secteurs d’activité et interviennent dans le financement de toutes les activités régionales, un positionnement qui leurs permet d’accompagner les différents plans de développement de leurs régions. Elle reste sans conteste un acteur économique incontournable dans leurs  territoires et participent d’une manière considérable  dans le renforcement de la l'attractivité économique de chaque région.

Contrairement aux autres banques commerciales organisées en directions régionales, les BPR sont des banques à part entière agréées en tant que telles par Bank Al-Maghrib, elles figurent sur la liste officielle des établissements bancaires. De ce fait, elles disposent de leurs propres organes de gouvernance (assemblée générale, conseil de surveillance et directoire). Elles sont agréées pour exercer l’ensemble des activités bancaires avec une mission particulière de développement de l’épargne et de financement des PME dans leurs circonscriptions territoriales. En effet, le président du Groupe Banque Populaire au Maroc confirme que l’architecture mutualiste et coopérative régionale de la Banque Populaire lui donne plus d’agilité pour être plus proche des clients dans les territoires. L’ensemble des informations et des entretiens réalisés (fonctionnaires des BPR, clients particuliers et entreprises…) confirment la proximité et l’implication territoriale des banques populaire marocaines à travers leurs contributions dans le financement des projets socio-économiques, leur encouragement des PME et l’adaptation de leurs produits aux besoins des populations défavorisées qui souffrait de l’exclusion bancaires auparavant. En outre, les BPR participent dans la création d’emplois et l’intégration des jeunes diplômés dans des régions marocaines connues par leurs taux de chômage élevés et de faibles opportunités d’emploi. Il faut noter aussi, que la Banque Populaire en particulier les BPR  au Maroc sont consciente de l’importance de l’intégration de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) dans leurs visons et stratégies, ainsi elles essayent d’inscrire leurs rapport avec leurs environnement dans une démarche éminemment citoyenne, pour s’élargir à la notion de RSE, un mode de production de valeurs universellement reconnu, basé sur un ensemble d’obligations et préoccupations sociétales assumées par l’entreprise à l’égard de ses différentes parties prenantes, tout en préservant la rationalité économique et l’intérêt de l’entreprise.

 

Conclusion

Les banques coopératives restent méconnues au Maroc, bien qu’occupant une place importante dans le paysage bancaire  marocain. Présentes sur l’ensemble du territoire, leur pénétration est importante en direction des PME-PMI, fortement créatrices d’emploi, dans les villes de taille moyenne et en milieu rural, en direction  des familles, et leur clientèle est en moyenne moins aisée que celle des banques commerciales. Elles se caractérisent aussi par des performances commerciales et financières soutenues tout au long de ces dernières années et plus régulières que celle des autres banques. Elles ont enfin contribué à la création d’emplois dans un secteur pourtant soumis à une forte intensité concurrentielle, et donc à des restructurations généralement synonymes de licenciements, et se caractérisent par de multiples innovations de produits, imposant une professionnalisation croissante. Cependant, comme toutes les banques coopératives, les BPR au Maroc doivent faire face à plusieurs enjeux afin de garder leur identité coopérative et leur fort ancrage territorial tel que le défit de l’adaptation à la concurrence et le risque de banalisation de leur statut coopératif résultant d’une standardisation des pratiques des établissements bancaires.

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